samedi 31 mars 2007

J'ai dilué l'encre de Chine

Quand j’écris, je ne trempe pas ma plume dans un encrier, mais dans la vie.
(Blaise Cendrars)

Laissez moi vous dire déjà pourquoi j’ai souhaité vous parler de l’encre de Chine.
Tout d’abord, l’encre de Chine, ça a une petite odeur âcre, c’est sombre, noir profond. Au plus loin de ma mémoire, je crois même l’avoir gouttée...cette encre si opaque je l’ai utilisée lors de la reproduction de graphiques que notre professeur de technologie nous demandait. C’était agréable pour moi, ce travail minutieux qui demandait du temps, de la précision, un calme intérieur, pour que le trait soit net, J’aimais tracer, et admirer ensuite le résultat. C’était sobre, simple, et propre.
L’encre de Chine plus tard je l’ai utilisé encore pour recopier des estampes japonaises...là encore, le trait devait être pur, précis, sans hésitation. J’ai pris patience, moi qui suis parfois si pressée, rapide. Cela m’a appris beaucoup justement,et j’avais besoin d’apprendre car l’art, la peinture le dessin , pour moi, c’est une vraie passion, quelque chose que j’ai en moi depuis toujours, quelque chose qui m’aide à exprimer des ressentis,à filtrer du monde extérieur, qui va dans le partage, et vers l’autre.
C’est tellement important d’aller vers l’autre.
Être dans l'ego signifie être isolé, être séparé. Être dans l'ego signifie devenir une île. Être dans l'ego signifie tirer une ligne de démarcation autour de soi. Être dans l'ego signifie faire une distinction entre "je suis ceci" et "je ne suis pas cela". La définition, la limite entre "moi" et "non-moi" voilà ce qu'est l'ego ; l'ego isole et il nous rend figé. Nous ne coulons plus.
Si nous sommes fluide , telle l’encre diluée,l'ego ne peut pas exister. Par conséquent les gens deviennent parfois comme des cubes de glace. Ils n'ont aucune chaleur, ils n'ont aucun amour ; l'amour est chaleur et ils ont peur de l'amour. Si la chaleur vient à eux ils commenceraient à se dissoudre et les limites disparaîtraient. Dans l'amour les limites disparaissent ; dans la joie aussi les limites disparaissent, parce que la joie n'est pas froide.
la dernière fois que j’ai vu de l’encre de Chine, c’est dans le récent film de Clint Eastwood: Lettres d’ Iwo jima. Comme j’avais commencé cette réflexion sur l’encre, l’image de celle ci au décours du film a revêtu une importance toute particulière. En effet, le héros, un haut gradé de l’armée japonaise, terré dans une galerie souterraine en guise de cache passe un peu de temps à écrire des lettres qui seront retrouvées bien longtemps après la guerre, lors de fouilles. ces lettres, il les écrit à sa femme bien aimée, il les trace à l’encre de Chine. Le raffinement de cet homme, le calme qu’il dégage tout en dessinant ces fameux idéogrammes sont tellement d’un temps ancestral que cela souligne d’autant plus fortement, le contraste avec la fureur de la guerre qui sévit à l’extérieur, l’immense déploiement guerrier d’armes de toutes sortes, le bruit des grenades, des explosions, des lance -flammes, des balles qui fusent, des membres déchiquetés, du sang qui coule à flot, des visages brûlés, des corps meurtris, des paysages ravagés, des ciels d’acier. Alors il m’est venu le souvenir des plans du temple de Salomon, inscrits à l’encre par les architectes. Le parallèle, je le vois dans l’affinement de l’être, de la personnalité qui cherche dans la simplicité et dans la droiture, à trouver sa voie.
Le pinceau comprend quatre composantes: le muscle, la chair, l'os, le souffle.
Là ou le trait tracé s'interrompt sans que l'élan s'arrête, c'est le muscle.
Là ou le trait en son plein et son délié, exprime la substance charnelle des choses, c'est la chair.
Là ou le trait, vigoureux et droit, est traversé de force vitale, c'est l'os.
Là ou le trait, se combinant avec d'autres traits, concourt au maintien intact de l'image peinte, c'est le souffle.
On comprend ainsi que chaque trait trop chargé d'encre perd son souffle intègre. Un trait qui s'interrompt totalement n'a pas de muscle; un trait dont le muscle est mort n'a pas de chair; un trait qui vise trop à charmer est privé d'os.'' JING HAO

'Si loin que vous alliez, si haut que vous montiez, il vous faut commencer par un simple pas. Ainsi, l'unique trait de pinceau embrasse-t-il tout, jusqu'au lointain les plus inaccessible, et sur dix millions de traits de pinceau, il n'en est pas un dont le commencement et l'achèvement ne réside pas dans cette unique trait de pinceau dont le contrôle n'appartient qu'à l'homme...'' SHI TAO

Dans l'art de la peinture, le maniement du pinceau est de première importance. Ensuite vient la maîtrise de l'encre, et enfin, celle de la couleur.'' WANG KAI

''Un poème est une peinture invisible
une peinture est un poème visible'' GUO XI

''La peinture résulte de la réception de l'encre.
L'encre de la réception du pinceau.
Le pinceau de la réception de la main
La main de la réception de l'esprit.''

''Écrire et dessiner sont semblables en leur fond'' PAUL KLEE

Je me suis rendue compte que nous n'avons pas besoin de personnalité pour vivre, nous avons besoin de conscience. La personnalité nous enferme dans l'image que nous avons de nous-mêmes, la conscience nous en libère. C'est la conscience qui nous permet de savoir qui nous sommes, qui nous éclaire sur les personnalités paradoxales qui vivent en nous. Nous ne sommes entier que lorsque nous entrons en contact avec toutes les facettes de notre personnalité et faisons l'expérience de notre globalité.

mais quelle est cette voie qui nous importe, que voulons nous dessiner?
Ma voie, celle que je cherche, est celle pour laquelle le moment venu de mon départ je pourrai dire, c’était le bon chemin, la bonne direction,
Le trait sera plus ou moins épais, plus ou moins habile, plus ou moins long, plus ou moins sensible, plus ou moins beau, plus ou moins bon,; il sera inscrit dans la mémoire de quelques uns...comme le trait de lumière vif, éphémère qui s’estompe si vite dans la voute étoilée d’un ciel d’été, trace d’une étoile filante.
Nous cherchons tous cette étoile, inaccessible étoile...et si nous en étions un morceau?
Reste à éclairer ceux qui nous entourent, pour à notre tour, recevoir de leur lumière, cette lumière qui brille en chaque être. Elle s’est éteinte parfois dans le regard implorant d’un enfant meurtri....il faut la réanimer.

vendredi 30 mars 2007