mardi 20 avril 2010

Sigmund Freud (1927), “L’avenir d’une illusion”. Trad. franç., 1932.(Suite)

"Pour l'individu comme pour l'humanité en général,
la vie est difficile à supporter.
La civilisation à laquelle il a part lui impose
un certain degré de privation, les autres hommes lui occasionnent
une certaine dose de souffrance,
ou bien en dépit des prescriptions de cette civilisation
ou bien de par l'imperfection de celle-ci.
A cela s'ajoutent les maux que la nature indomptée -
il l'appelle le destin - lui inflige.
Une anxiété constante des malheurs pouvant
survenir et une grave humiliation du narcissisme naturel
devraient être la conséquence de cet état.
Nous savons déjà comment l'individu réagit aux
dommages que lui infligent et la civilisation et les autres hommes :
il oppose une résistance, proportionnelle à sa souffrance,
aux institutions de cette civilisation, une hostilité contre celle-ci.
Mais comment se met-il en défense contre les forces supérieures de la nature,
du destin, qui le menacent ainsi que tous les hommes ?
La civilisation le décharge de cette tâche et elle le fait
de façon semblable pour tous.
Il est d'ailleurs remarquable que presque toutes les cultures se
comportent ici de même.
La civilisation ne fait pas ici halte dans sa tâche de
défendre l'homme contre la nature elle change simplement de méthode.
La tâche est ici multiple le sentiment de sa propre dignité qu'a l'homme
et qui se trouve gravement menacé,
aspire à des consolations ; l'univers et la vie doivent être libérés de leurs terreurs
; en outre la curiosité humaine, certes stimulée par les considérations pratiques
les plus puissantes, exige une réponse.
Le premier pas dans ce sens est déjà une conquête.
Il consiste à « humaniser » la nature. On ne peut aborder des forces
et un destin impersonnels, ils nous demeurent à jamais étrangers.
Mais si au cœur des éléments les mêmes passions qu'en notre âme font rage,
si la mort elle-même n'est rien de spontané,
mais un acte de violence due à une volonté maligne,
si nous sommes environnés, partout dans la nature,
d'êtres semblables aux humains qui nous entourent,
alors nous respirons enfin, nous nous sentons comme chez nous
dans le surnaturel, alors nous pouvons élaborer psychiquement notre peur,
à laquelle jusque-là nous ne savions trouver de sens.
Nous sommes peut-être encore désarmés,
mais nous ne sommes plus paralysés sans espoir,
nous pouvons du moins réagir,
peut-être même ne sommes-nous pas vraiment
désarmés : nous pouvons en effet avoir recours contre ces violents surhommes
aux mêmes méthodes dont nous nous servons au sein de nos sociétés humai-
nes, nous pouvons essayer de les conjurer, de les apaiser, de les corrompre, et,
ainsi les influençant, nous leur déroberons une partie de leur pouvoir. Ce
remplacement d'une science naturelle par une psychologie ne nous procure
pas qu'un soulagement immédiat, elle nous montre dans quelle voie poursui-
vre afin de dominer la situation mieux encore."

Extrait d'une édition électronique
réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de :
Sigmund Freud (1927)
“ L’avenir d’une illusion ”
Traduction française par Marie Bonaparte revue par l’auteur, 1932.

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