Sartre, La Nouvelle Revue Française, janvier 1939(extrait)
"Être, c'est éclater dans le monde, c'est partir d'un néant de monde et de conscience pour soudain s'éclater-conscience-dans-le-monde. Que la conscience essaye de se reprendre, de coïncider enfin avec elle-même, tout au chaud, volets clos, elle s'anéantit. Cette nécessité pour la conscience d'exister comme conscience d'autre chose que soi, Husserl la nomme « intentionnalité ».J'ai parlé d'abord de la connaissance pour me faire mieux entendre : la philosophie française, qui nous a formés, ne connaît plus guère que l'épistémologie. Mais, pour Husserl et les phénoménologues, la conscience que nous prenons des choses ne se limite point à leur connaissance. La connaissance ou pure « représentation » n'est qu'une des formes possibles de ma conscience « de » cet arbre ; Je puis aussi l'aimer, le craindre, le haïr, et ce dépassement de la conscience par elle-même, qu'on nomme « intentionnalité », se retrouve dans la crainte, la haine et l'amour ; haïr autrui, c'est une manière encore de s'éclater vers lui, c est se trouver soudain en face d'un étranger dont on vit, dont on souffre d'abord la qualité objective de « haïssable ». Voilà que, tout d'un coup, ces fameuses réactions a subjectives », haine, amour, crainte, sympathie, qui flottaient dans la saumure malodorante de l'Esprit, s'en arrachent ; elles ne sont que des manières de découvrir le monde. Ce sont les choses qui se dévoilent soudain à nous comme haïssables, sympathiques, horribles, aimables. C'est une propriété de ce masque japonais que d'être terrible, une inépuisable, irréductible propriété qui constitue sa nature même,—et non la somme de nos réactions subjectives à un morceau de bois sculpté. Husserl a réinstallé l'horreur et le charme dans les choses. Il nous a restitué le monde des artistes et des prophètes : effrayant, hostile, dangereux, avec des havres de grâce et d'amour. Il a fait la place nette pour un nouveau traité des passions qui s'inspirerait de cette vérité si simple et si profondément méconnue par nos raffinés : si nous aimons une femme, c'est parce qu'elle est aimable. Nous voilà délivrés de Proust. Délivrés en même temps de la a vie intérieure » ; en vain chercherions-nous, comme Amiel, comme une enfant qui s'embrasse l'épaule, les caresses, les dorlotements de notre intimité, puisque finalement tout est dehors, tout, jusqu'à nous-mêmes : dehors, dans le monde, parmi les autres. Ce n'est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c'est sur la route, dans la ville au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes".
2 commentaires:
Belle réflexion. Il y a deux Sartre, l'un que j'aime l'autre que j'ignore ces mots sont ceux du Sartre dont la pensée est "réfléchissante". Bises.
Sartre est important, Zola l'a été encore plus peut-être...
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